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Quelques  jours après la seconde proclamation de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, la Cour de justice a rendu un arrêt important et fort attendu dans l'affaire Laval C 341-05.

Les faits  :

En mai 2004 une société lettone (Laval) a détaché des travailleurs de Lettonie pour exécuter des chantiers en suède. C'est une filiale  L&P Baltic Bygg AB qui les a entrepris. Parmi les travaux figurait la rénovation et l'extension d'un établissement scolaire dans la ville de Valxholm.

En juin 2004, des négociations ont été entamées afin de déterminer des taux de salaire des travailleurs détachés et aussi sur l'adhésion de Laval à la Convention collective du bâtiment. Ces négociations n'ont pas abouti.

En novembre 2004, le syndicat suédois du bâtiment a lancé une action collective consistant au blocus de tous les chantiers de Laval en Suède. Ceci a entrainé la faillite de la filiale et les travailleurs lettons sont retournés en Lettonie.

L'arrêt :

La cour interprête la directive 96/71/CE sur le détachement des travailleurs comme "ne permet(tant) pas à l’État membre d’accueil de subordonner la réalisation d’une prestation de services sur son territoire à l’observation de conditions de travail et d’emploi allant au-delà des règles impératives de protection minimale".

En suite, la cour reconnait que "le droit de mener une action collective doit être reconnu en tant que droit fondamental faisant partie intégrante des principes généraux du droit communautaire dont la Cour assure le respect, droit dont l’exercice peut être soumis à certaines restrictions. Le caractère fondamental s’attachant au droit de mener une action collective n’est toutefois pas de nature à faire échapper une telle action, menée à l’encontre d’une entreprise établie dans un autre État membre qui détache des travailleurs dans le cadre d’une prestation de services transnationale, au champ d’application du droit communautaire".

La Cour constate que "le droit des organisations syndicales d’un État membre de mener des actions collectives, par lesquelles les entreprises établies dans d’autres États membres peuvent se voir contraintes de négocier pendant une durée indéterminée afin de connaître les taux de salaire minimal et d’adhérer à une convention collective, dont, les clauses vont au-delà de la protection minimale assurée par la directive 96/71/CE, est susceptible de rendre moins attrayant, voire plus difficile, pour ces entreprises l’exécution de travaux de construction sur le territoire suédois et constitue donc une restriction à la libre prestation des services".

La Cour précise que "le droit de mener une action collective ayant pour but la protection des travailleurs de l’État d’accueil contre une éventuelle pratique de dumping social peut constituer une raison impérieuse d’intérêt général"

La Cour examine alors le blocus engagé. Elle reconnait qu'il relève de l'objectif de protection des travailleurs. Toutefois, "l’entrave que cette action comporte ne saurait être justifiée au regard d’un tel objectif. En effet, s’agissant des travailleurs détachés dans le cadre d’une prestation de services transnationale, leur employeur est, par l’effet de la coordination réalisée par la directive 96/71/CE, tenu d’observer un noyau de règles impératives de protection minimale dans l’État membre d’accueil".

"Cependant, des actions collectives ne sauraient être justifiées au regard de l’objectif d’intérêt général de protection des travailleurs lorsque la négociation salariale qu’elles visent à imposer à une entreprise établie dans un autre État membre s’inscrit dans un contexte national marqué par l’absence de dispositions, de quelque nature que ce soit, qui soient suffisamment précises et accessibles pour ne pas rendre, en pratique, impossible ou excessivement difficile la détermination, par une telle entreprise, des obligations qu’elle devrait respecter en termes de salaire minimal.
Enfin, la Cour constate qu’une réglementation nationale qui ne tient pas compte, quel qu’en soit le contenu, des conventions collectives auxquelles les entreprises qui détachent des travailleurs en Suède sont déjà liées dans l’État membre dans lequel elles sont établies, crée une discrimination à l’encontre de ces entreprises, dans la mesure où elle leur applique le même traitement que celui réservé aux entreprises nationales qui n’ont pas conclu de convention collective.
Or, il résulte du traité que de telles règles discriminatoires ne peuvent être justifiées que par des raisons d’ordre public, de sécurité publique et de santé publique".

Elle relève qu' "Aucune de ces considérations ne relevant des raisons d’ordre public, de sécurité publique et de santé publique, une telle discrimination ne peut pas être justifiée".

La Confédération européenne des syndicats (CES/ETUC) a commenté la décision en reconnaissant qu'elle contient des aspects positifs comme la reconnaissance du droit de grève en tant que droit fondamental confirmant en cela la jurisprudence Viking. Mais sa déception porte sur le défi qu'elle impose au système suédois de négociation collective. De là à dire que la Cour de justice favorise le dumping social, c'est un pas que l'Europe à la Une ne franchit pas. Cet arrêt est important et complexe. Il doit s'interpréter de façon spécifique en lien avec l'action collective menée sans doute disproportionnée selon la Cour de justice et aussi spécifique au cadre suédois de négociation collective.

L'Europe à la Une reviendra sur cette jurisprudence.


Sous ce lien :
http://curia.europa.eu/jurisp/cgi-bin/form.pl?lang=FR&Submit=Rechercher$docrequire=alldocs&numaff=C-341/05&datefs=&datefe=&nomusuel=&domaine=&mots=&resmax=100
Tag(s) : #Projet de Traité réformateur