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Ce que le nouveau traité apporte aux salariés

La manière dont l’Europe se construit impose en permanence d’emporter l’adhésion des peuples et des nations qui la composent. Or, l’Europe s’est réalisée le plus souvent sans débat public digne de ce nom. Quand il s’engage, le plus souvent, il se focalise sur « pour ou contre» avec les implications que nous connaissons alors que l’interrogation essentielle et qui demeure, est celle de son contenu : quelle Europe voulons-nous ? Ce projet de traité tout comme le projet de traité constitutionnel est sans doute celui qui tente de réconcilier l’Europe et ses citoyen(ne)s. L’insuffisance voire l’absence de social est le principal reproche adressé à l’Union le plus souvent par ceux-là même qui n’ont pas voulu lui transférer davantage de compétences dans ce domaine. Sans aucune démagogie et sans parti pris, il importe dès lors de présenter les aspects sociaux indéniables de ce nouveau traité.

Le traité de Lisbonne réaffirme le modèle social européen et refonde le contrat social européen

L’Europe se caractérise par la force du lien entre les progrès économiques et sociaux au cœur de l’identité sociale européenne qui demeure une référence dans le monde entier. Bien qu’elle ait pris des formes différentes en fonction des pays, celle-ci reflète partout le même ensemble de valeurs par delà la diversité des politiques et des institutions. Cette identité combinant l’économie de marché, l’intervention de l’État et la négociation est ancrée dans la démocratie. Elle repose sur des droits fondamentaux, individuels et collectifs, qui donnent à tous les individus accès à des services publics, et leur garantit une protection sociale.

L’Europe sociale existe même si ses fondements, ses résultats sont le plus souvent ignorés, lorsqu’ils ne sont pas caricaturés. Elle s’inscrit désormais dans un ensemble de textes législatifs et conventionnels, de programmes, de plans qui encadrent l'action des acteurs économiques et sociaux.

A la Convention européenne, le rapport de force imposé par le mouvement syndical européen appuyé par une très large majorité de Conventionnels avait permis de débattre et réfléchir sur la politique sociale de l’Union européenne. Toutes les propositions formulées alors ont été transcrites dans le projet élaboré par cette instance, repris voire amplifié par la Conférence intergouvernementale (CIG) réunissant les chefs d’États et de gouvernement de 2004 que la CIG de 2007 n’a pas rognées.

L’Union européenne comme communauté humaine et de valeurs

Alors que pour la Convention, il était fondamental que le citoyen se reconnaisse dans ce projet et avait donc conçu une sorte de Pacte européen des citoyens de l’Europe unie et élargie repris par la CIG de 2004 : L’Union européenne y était définie comme une Union des citoyennes et citoyens et des États d’Europe. En effet, l’article I. 1 alinéa 1 du traité établissant une Constitution pour l’Europe établissait « Inspirée par la volonté des citoyens et des États d’Europe de bâtir leur avenir commun… ». Ainsi, la double filiation de l’Union européenne était établie : les citoyens, les peuples et les États. De tout cela, il ne subsiste rien si ce n’est la référence à la citoyenneté européenne[1] et au fait que les citoyens européens sont représentés par le Parlement européen.

Malgré ces avatars dus aux NONistes, au-delà d’un grand marché unique et de l’intégration monétaire réussis, l’Union européenne est une communauté humaine et de valeurs.

Tout d’abord, l’Union européenne n’est pas une abstraction. Ensuite, elle exerce les compétences attribuées par les États-membres[2].

Pour la première fois dans l’histoire de l’Union, les valeurs[3] de justice, de solidarité et d’égalité notamment entre les hommes et les femmes, de non-discrimination et des droits des personnes appartenant à des minorités sont mentionnées de façon explicite. Cet article n’est pas seulement déclaratoire ou incantatoire. Il est avant tout opérationnel. Le non respect des valeurs fondamentales définies dans la 1ère phrase : dignité humaine, liberté, démocratie, égalité, État de droit, droits de l’Homme y compris des droits des personnes appartenant à des minorités, pourraient engager la procédure de suspension de certains droits résultant de l’appartenance à l’Union (article 7 du traité sur l’Union européenne).

Pour la 1ère fois aussi, un nouvel équilibre est amorcé. En effet, les objectifs[4] de l’Union incluent, entre autres, le développement durable en précisant que celui-ci se fonde sur « une économie sociale de marché visant le plein emploi et le progrès social ». Les Services d’intérêt général (SIG) n’y figurent pas mais leur base juridique a été renforcée dans le sens d’une action européenne[5]. L’article 14 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne relatif aux services d’intérêt général ajoute une base juridique qui faisait défaut jusqu’à présent pour l’adoption d’un règlement qui « établit ces principes et fixe ces conditions, sans préjudice de la compétences qu’ont les États-membres, dans le respect des traités, de fournir, de faire exécuter et de financer ces services ».Un protocole[6] sur les SIG et SIEG a été ajouté. A la demande de la BCE et des ministres de l’Économie et des finances, « la stabilité des prix » a été ajoutée à côté d’« une croissance économique équilibrée ». Il n’est plus fait référence à un concurrence libre et non faussée dans les objectifs. Il s’agit d’un moyen. En revanche, un protocole sur le marché intérieur et la concurrence a été ajouté. Enfin, le tout premier reste et demeure la Paix.

Le projet de traité clarifie aussi : « qui fait quoi ». Le triangle institutionnel reflet de la double nature de l’Union européenne est confirmé. Chacune des institutions sort renforcée. De plus, les compétences de l’Union européenne et des États-membres sont définies précisément et ne pourront plus être étendues insidieusement. Ainsi, la politique sociale fait partie des compétences partagées entre l’Union européenne et les États-membres et n’a pas été étendue. De plus, le processus de prise de décision est simplifié. En effet, a codécision entre le Conseil et le Parlement européen devient la procédure législative ordinaire. Enfin, dans 95% des cas, les décisions seront prises à la nouvelle majorité qualifiée[7] : de 55% des États-membres représentant 65% de la population de l’Union. Jusqu’au 31 octobre 2013, le vote à la majorité qualifiée du traité de Nice s’applique (majorité d’États, de voix et 62% de la population européenne),

A partir du 1er novembre 2014, la majorité qualifiée se définit comme étant égale à au moins 55% des membres du Conseil comprenant au moins 15 d’entre eux et représentant des États-membres réunissant au moins 65 % de la population de l’Union. Le Protocole n°10 sur les dispositions transitoires prévoit à l’article 2 qu’  « entre le 1er novembre 2014 et le 31 mars 2017, lorsqu’une délibération doit être prise à la majorité qualifiée, un membre du Conseil peut demander que cette délibération soit prise à la majorité qualifiée telle que définie à l’article 3. Dans ce cas, les § 3 et 4 s’appliquent » ; Les délibérations sont acquises quand elles ont recueilli au moins 255 voix exprimant le vote favorable de la majorité des membres, sur une initiative de la Commission. Dans les autres cas, 255 voix exprimant le vote favorable d’au moins les 2/3 des membres.

La Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne acquiert une valeur juridique contraignante. Le texte prévoit aussi que « L’Union adhère à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ». Cet aspect sera développé.

La citoyenneté européenne est reprise. Elle figure dans le traité sur l’Union européenne (titre II, article 8) ainsi qu’à l’article 17 ter du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. « Est citoyen de l’Union toute personne ayant une nationalité d’un État-membre ».

La future Constitution inscrivait aussi dans le marbre « les signes de l’Union » : « Le drapeau de l’Union représente un cercle de douze étoiles jaunes sur fond bleu. L’hymne de l’Union est tiré de l’Ode à la Joie de la 9ème symphonie de L. Van Beethoven. La devise de l’Union est « Unie dans la diversité ». La monnaie de l’Union est l’Euro. Le 9 mai est célébré dans toute l’Union comme la journée de l’Europe ». De tout cela ne subsiste que l’euro.

Comme a dit le premier ministre luxembourgeois, Jean-Claude Juncker : « Ce n’est pas important, parce que les peuples européens ont plus de bon sens que certains de leurs dirigeants : ils continuent à aimer ce drapeau, cet hymne. Mais je suis frappé de voir ceux qui reprochent à l’Europe une trop grande distance entre elle-même et ses citoyens, enlever les symboles que les peuples ont déjà largement adoptés ».

D’autres évolutions positives permettent de rapprocher le citoyen(ne) de l’Europe.

Pour un renouvellement du contrat de progrès économique et social

Quelques avancées en matière sociale

Le texte consacre les principes d’égalité démocratique et de la démocratie représentative et participative. La vie associative et la liberté d’échanger des opinions sur tous les domaines d’action de l’Union sont garantis. De même, linitiative citoyenne est organisée puisque la Commission pourra, si un million de citoyens issus d’un nombre significatif d’Etats-membres l’estime nécessaire, être invitée à déposer une proposition d’acte juridique.

D’autres sont salués par le mouvement syndical comme la reconnaissance du rôle des partenaires sociaux et du dialogue social européen dans le respect de leur autonomie. C’est un résultat positif (si l’on mesure le chemin parcouru pour l’obtenir…) qui aidera au développement d’un système européen de relations sociales.

Le Sommet social tripartite pour la croissance et l’emploi doit contribuer aussi au dialogue social.

Une clause sociale dite « horizontale » est instaurée en début de traité sur le fonctionnement de l’Union européenne : « Dans la définition et la mise en œuvre de ses politiques et actions, l’Union prend en compte les exigences liées à la promotion d’un niveau d’emploi élevé, à la garantie d’une protection sociale adéquate, à la lutte contre l’exclusion sociale ainsi qu’à un niveau élevé d’éducation, de formation et de protection de la santé humaine ». Elle peut laisser perplexe essentiellement car elle ne signifie pas une mise en cohérence. En effet, la clause horizontale fait référence à un «niveau d’emploi élevé» et non au « plein emploi » tel que mentionné à l’article 3 du traité sur l’Union européenne et à l’article 127 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ou encore à une «protection sociale adéquate » contre la seule mention de la protection sociale (article 3 du traité sur l’Union européenne) et à un « niveau élevé d’éducation » alors qu’elle n’est pas mentionné dans les objectifs.

Au-delà de cette interprétation, la clause sociale « horizontale » instaurée doit permettre de faire le lien entre les principes et leur mise en œuvre. C’est un formidable levier pour obliger toutes les institutions législatives et exécutives à prendre en compte la dimension sociale dans tous les champs de son action. Elle est importante en ce que toutes les politiques de l’Union européenne et les décisions qui en découlent devront en tenir compte. Il en va de même vis-à-vis de toute discrimination.

La charte des droits fondamentaux

La Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne a déjà été proclamée, à Nice en décembre 2000, certes en catimini grâce au Royaume-Uni. La pierre angulaire du Pacte européen des citoyens de l’Union européenne élargie auquel je faisais référence reposait donc sur l’intégration de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne dans la Constitution dans sa partie II. Cette partie avait été l’enjeu de débats et de cristallisations notamment pour le Royaume-Uni farouchement hostile à son intégration et à lui conférer une quelconque valeur juridique. Des concessions lui avaient été faites notamment la référence aux commentaires joints élaborés par le secrétariat du praesidium de la Convention chargée d’élaborer la Charte tels que modifiés par la Convention sur l’avenir de l’Union européenne. L’essentiel à retenir est que cet ajout ne modifie en rien la valeur juridique de la Charte. Donc, finalement, la Charte est évoquée dans le traité sur l’Union européenne au titre I consacrée aux dispositions générales, à article 6. Elle devrait être proclamée solennellement par les trois institutions de l’Union européenne et être publiée très rapidement dans la série législative des Journaux officiels de l’Union européenne.

Il est adjoint un protocole n°7 concernant la clause d’exclusion du Royaume Uni et de la Pologne vis-à-vis de la Charte. Le nouveau gouvernement polonais souhaite revenir sur cette orientation.

Ceci revient à reconnaître qu’il existe deux catégories de citoyens dans l’Union européenne.

La mention faite à la charte dans le traité sur l’Union européenne est le sceau de cette communauté humaine et de valeurs.

C’est le 1er et unique texte au monde qui consacre l’indivisibilité et la reconnaissance des droits civils, politiques, économiques et sociaux dont les droits syndicaux fondamentaux sur une base égalitaire. Des droits nouveaux sont établis (ex : le droit à la protection des données personnelles, l’interdiction du clonage etc). D’autres sont supérieurs à ceux inscrits dans notre Constitution (bioéthique, environnement).

Elle s’impose à l’Union, à ses institutions et aux États-membres dans la mise en œuvre du droit communautaire. Ensuite, le respect des droits fondamentaux contenus dans la Charte est circonscrit aux compétences attribuées par les États-membres à l’Union européenne. Que pourra faire le citoyen européen de ce texte ? Faire valoir ses droits notamment sociaux fondamentaux sur les libertés fondamentales et les règles de concurrence du Marché intérieur. Une interprétation plus sociale du droit communautaire devrait en résulter.

Le titre IV « Solidarité » consacre un certain nombre de droits sociaux comme le droit à l’information et à la consultation des travailleurs au sein de l’entreprise (article 27). Cet article figure dans la Charte sociale européenne révisée (article 21) et la Charte communautaire des droits sociaux fondamentaux (points 17 et 18). Il s’applique dans les conditions prévues par le droit de l’Union et les droits nationaux. La référence aux niveaux appropriés renvoie aux niveaux prévus par le droit de l’Union ou par les droits nationaux et les pratiques nationales, ce qui peut inclure le niveau européen. L’acquis de l’Union dans ce domaine est important : article 136 et 137 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, directives 2002/14/CE (cadre général relatif à l’information et à la consultation des travailleurs dans la Communauté européenne, 98/59/CE (licenciements collectifs), 2001/23/CE (transferts d’entreprises) et 94/45/CE (comités d’entreprise européens).

Les 1ères dispositions sociales des premiers traités européens avaient comme finalité la mise en valeur du facteur travail. L’harmonisation s’y est ajoutée avant que les stratégies européennes pour l’emploi, de Lisbonne devenue celle pour la croissance et l’emploi (2005) et les Agendas sociaux européens ouvrent les débats sociaux communautaires à l’emploi, la protection sociale et l’inclusion sociale. Ce nouveau traité et la Charte devraient permettre à l’Union, à ses États-membres et aux citoyens de construire un modèle de société européen à même de répondre aux défis de la mondialisation et des mutations sociales internes.


[1] La citoyenneté européenne a été introduite par le traité de Maastricht.

[2] article 5 du traité sur l’Union européenne.

[3] article 2 du traité sur l’Union européenne.

[4] article 3 du traité sur l’Union européenne.

[5] article 14 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne.

[6] Un protocole a la même valeur juridique que le traité c’est-à-dire du droit communautaire primaire.

[7] En matière de politique sociale, le vote à la majorité qualifiée n’a pas progressé. L’unanimité est toujours requise pour la sécurité sociale et la protection sociale, la protection des travailleurs en cas de résiliation du contrat de travail, la représentation et la définition des intérêts collectifs des travailleurs et des employeurs y compris la cogestion, les conditions d’emploi des ressortissants des États-tiers. Toutefois pour ces trois derniers domaines, la clause passerelle peut s’appliquer. Pour tous les autres sujets le vote à la majorité qualifiée est déjà la règle.

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