Alors que depuis quelques jours les producteurs de lait manifestent et s'apprêtent à décider d'une "grève du lait", l'été a rappelé brutalement la France à ses obligations communautaires. En effet, à l'issue d'une longue procédure d'enquête, la Commission européenne a demandé le remboursement d'un montant de près de 500 millions d'euros d'aides non notifiées distribuées au secteur des fruits et légumes, alors que celui-ci est en crise. La France a redécouvert que la PAC n'obéit pas au seul « principe du juste retour » mais comporte aussi le respect de ses engagements européens.
Rappel des faits1
En 2002, une dénonciation est parvenue aux services de la Commission européenne.
La Commission européenne s'en saisit et demande à la France des renseignements sur des aides non notifiées dans le secteur des fruits et légumes, dans le cadre de dispositifs aussi variés que nombreux « plans de campagne », « plans stratégiques » ou « plans conjoncturels ».
La France va satisfaire à ces demandes. Ces aides ont été versées par 8 comités agricoles et par l'ONIFLHOR (Office national interprofessionnel des fruits, légumes et horticulture) établissement public rattaché au ministère de l'agriculture.
La démarche aboutit en 2005 à une procédure ouverte d'examen en vertu de l'article 88 §2 TCE.
Au terme de cette procédure, la Commission européenne conclut dans un rapport du 28 janvier 2009 à la nature d'aide d'État au regard des critères de l'article 87 TCE, à leur illégalité. Enfin, aucun caractère dérogatoire ne peut leur être reconnu, pour la période allant de 1992 à 2002 (délai de prescription).
La décision finale prévoit la récupération des aides illégales et le paiement des intérêts, soit un montant d'environ 500 millions d'euros. Il est important pour la France de rembourser le plus promptement possible alors que s'esquissent les futures négociations sur la PAC au début 2010, d'importance vitale !
La PAC
Évolution
La Politique Agricole Commune (PAC) est la 1ère (1963) et la plus importante des politiques communes européennes. Elle est historique car elle figure dans le traité de Rome. Elle transpose du niveau national au niveau européen, l'intervention étatique courante dans les 6 États-membres fondateurs pour inclure les produits agricoles dans la libre circulation des marchandises. La Communauté économique européenne d'alors est parvenue à surmonter la pénurie alimentaire des années 1950 pour atteindre l'autosuffisance puis les excédents agricoles. La PAC va connaître de nombreuses réformes avec l'Acte unique européen (1986), puis en 1992 et en 1999 (Agenda 2000). La dernière date du 23 juin 2003. La dernière réforme du secteur des fruits et légumes est entrée en vigueur, le 1er janvier 2008, avec une nouvelle organisation commune des marchés (OCM) et ses modalités d'application.
Perspectives
Le traité de Lisbonne toujours en cours de ratification modifie le chapitre agricole. La PAC relève des compétences partagées à laquelle le principe de subsidiarité s'applique. La procédure de codécision représente le changement majeur de la PAC qui consolide le rôle de co-législateur du Parlement européen pour l'agriculture.
Cette perspective est d'autant plus importante que la PAC fait l'objet d'une énième remise à plat. En effet, après l'accord intervenu lors du Conseil européen des 15 et 16 décembre 2005 sur le nouveau cadre financier européen 2007-2013, un accord inter-institutionnel de mai 2006 s'en est suivi. Il y est convenu que la Commission européenne procédera à un réexamen fondamental du budget communautaire. Dans ce cadre, le 20 novembre 2007, la Commission européenne a adopté la communication « Préparer le « bilan de santé de la PAC réformée » ». Un accord politique sur le bilan de santé de la PAC a été conclu le 20 novembre 2008 lors du Conseil des ministres européens de l'Agriculture.
Les mesures adoptées visent, entre autres, selon la communication officielle qui en a été faite, à la suppression des jachères obligatoires, l'augmentation progressive des quotas laitiers, avant leur disparition en 2015, et fait de l'intervention sur les marchés un véritable filet de sécurité. Les ministres ont également décidé d'augmenter la modulation, mécanisme qui consiste à réduire les paiements directs en faveur des agriculteurs pour affecter les fonds correspondants au budget du développement rural. Grâce à cette adaptation, il sera possible de mieux répondre aux nouveaux défis et opportunités auxquels l’agriculture européenne doit faire face, y compris le changement climatique, la nécessité d'une meilleure gestion de l'eau, la protection de la biodiversité et la production d'énergie verte. Les États membres pourront aussi aider les producteurs laitiers installés dans les régions sensibles à s'adapter aux nouvelles conditions de marché.
Les aides d'État
Les aides d'État dans le secteur de l'agriculture suivent les principes généraux de la politique européenne de la concurrence. Elles doivent être cohérentes avec les politiques communautaires en matière d'agriculture et de développement rural et être compatibles avec les obligations internationales de l'Union européenne comme celles de l'OMC. La France en peut pas dire qu'elle ne savait pas. Elle ne l'a d'ailleurs pas dit... Mais, a pu céder à la tentation de l'adage « pas vu, pas pris... ».
Le paradoxe
Cette affaire intervient sur fond de crise du secteur des fruits et légumes en France du fait de la baisse des prix, de la consommation (on serait passé d'une consommation de 191 kg en 1990 à 84 kg) et de la concurrence des autres producteurs européens et des pays tiers à plus bas coût de main d'œuvre.
Le coût de la main d'œuvre représente de 48 à 60 % du prix selon les produits. Cette question a été abordée lors des rencontres des 4 et 6 août dernier entre les producteurs, leurs représentants et le ministre de l'agriculture. Un plan se soutien a d'ailleurs été annoncé de 15 millions d'euros. On espère que les modalités ont été vérifiées avec la Commission européenne afin qu'il ne soit pas taxé dans peu de temps de contraire aux obligations communautaires. Mais, comme pour d'autres produits de consommation courante, les prix des fruits et légumes sont plus chers en France que chez nos voisins immédiats comme l'Allemagne pour d'autres raisons comme les circuits de distribution2, des facteurs technologiques, commerciaux (choix des variétés, les sources d'énergie utilisées etc.). Un rapport a été demandé au niveau européen pour faire le point sur le travail au noir et autres pratiques déloyales par le ministre B. Le Maire. Un autre rapport du député J. Remiller (UMP, président du comité "fruits et légumes" de l'Assemblée nationale) décrit un secteur en très grande difficulté. La fédération nationale des producteurs de légumes réclame que l'Europe se saisisse de la question sociale et ne se limite à une zone de libre-échange.
Pour ce qui y est du social, l'Union européenne s'en est déjà saisie dans la limite des compétences qui lui sont conférées par les États-membres. Aux termes des dispositions sociales contenues dans les traités successifs ainsi que dans celui en vigueur du traité de Nice ou en cours de ratification du traité de Lisbonne, l'Union européenne n'a pas de compétences en matière de salaires. Ce domaine reste exclusivement de la compétence nationale, sauf pour la dimension d'égalité homme/femme.
On ne peut que déplorer que les aides non notifiées entre 1992 et 2002 dans ce secteur n'aient pas davantage servies à sa modernisation et au renforcement de sa compétitivité tant au niveau intra européen qu'international et aussi ce réflexe purement français de réclamer l'assistance des pouvoirs publics en cas de crise, de difficulté...Il y a toujours quelque chose à retenir de ses expériences malheureuses...
1DÉCISION DE LA COMMISSION du 28 janvier 2009 concernant les «plans de campagne» dans le secteur des fruits et légumes mis à exécution par la France [C 29/05 (ex NN 57/05)] [notifiée sous le numéro C(2009) 203] (Le texte en langue française est le seul faisant foi.) (2009/402/CE) JOUE du 26.5.2009 L 127/11.
2Etude sur « L'emploi et la compétitivité des filières fruits et légumes » réalisée par le ministère de l'agriculture.